Extrait des Grands Contes pour petites oreilles, Hervé BRUGNOT
“Il y a très longtemps vivait en Chine un vieux maître reconnu dans toute la région pour sa grande sagesse. Il avait en charge d’initier quatre jeunes moines fraîchement arrivés au monastère : ils s’appelaient Yu, Tsin, Tchen et Ko.
Ce jour-là, le soleil matinal se levait à peine, et la brume dansait entre les montagnes. Maître K’ien avait convoqué ses disciples pour une journée particulière. Ils étaient tous assis autour d’une table pour prendre le thé.
“Bienvenue à vous, dit le maître. Aujourd’hui, vous allez étudier la technique de l’esprit tranquille. Nous allons faire un long chemin jusqu’à une grotte et là-bas une épreuve vous attendra”.
“L’esprit tranquille ? Qu’est-ce que c’est ?” demanda Yu. « Rien ! », répondit le maître.
“Comment cela, rien ?” rétorqua Tchen.
“Regarde ton bol, Tchen” rétorqua le maître et il lui versa le thé encore fumant.
“Attention, ça déborde !” cria Tchen en reculant brusquement.
Le maître répondit d’un ton calme : “Voyez : ma réponse est comme le thé et votre esprit comme ce bol. Si je le remplis de mes explications, vous n’aurez plus de place pour accueillir l’esprit tranquille… Je ne vous en dirais pas plus jusqu’à la grotte.”
Leurs baluchons prêts, tous ensemble, ils prirent la route du nord en direction de la grotte. Après six heures de marche, ils arrivèrent enfin sur les lieux.
“Maître K’ien alluma une bougie, et tous les cinq s’enfoncèrent au cœur de la Montagne. Au bout d’un long tunnel parut une grande salle ornée de colonnes de pierres. Le maître posa sa bougie au sol, et les invita à s’asseoir en cercle.
“Voici l’épreuve : je vous demande le silence le plus total. Ne parlez plus, ne bougez plus, ne pensez plus.”
Alors les quatre moines assis en tailleur, le dos bien droit, fixèrent la bougie sans un mot, sans un geste, comme changés en statues de pierre. Du fond du silence, de loin en loin, une goutte d’eau rythmait le temps. La bougie diminuait, diminuait… la flamme se mit à vaciller, prête à disparaître. Tchen ne put s’empêcher de murmurer “la bougie va s’éteindre !”
“Il ne fallait pas parler !” rétorqua Ko en fronçant les sourcils.
Yu jeta un regard furibond à ses deux amis. Tsin, lui, ne bougea pas d’une paupière.
Maître K’ien sortit de son sac une nouvelle bougie. Sans un mot, il l’alluma. Puis, accompagné de ses quatre disciples, il reprit en silence le chemin vers la sortie.
Dehors, la nuit était tombée. Yu, Tchen et Ko s’empressèrent de questionner leur maître : “Alors, avons-nous réussi l’épreuve ?”
Le maître se tourna vers Tsin qui ne disait toujours rien. “Et toi, Tsin, qu’en penses-tu ?”
“Je ne sais pas maître” avoua Tsin.
“Félicitations ! répondit maître K’ien. Si tu ne sais pas, c’est que tu as réussi. Pour tes camarades, ce sera peut-être pour une autre fois”.
Tous repartirent dans la nuit en direction du monastère. Tchen, Ko et Lu se grattèrent longtemps la tête pour essayer de comprendre ce qui s’était passé. Tsin lui, regardait la lune, le sourire aux lèvres et l’esprit tranquille.
Analyse du conte “MAITRE K’IEN et les quatre Moines”
Il s’agit ici d’un simple conte mais qui met en lumière beaucoup de notions importantes du point de vue de l’expérience.
Si l’on reprend le début de l’histoire, ces quatre moines ne sont pas arrivés là par hasard, ils ont écouté et suivi leur intuition qui les a poussés sur le chemin de la spiritualité. Peut-être se sont-ils trompés ? Peut-être sont-ils sur une Voie qui les épanouira ? Seule l’expérience leur apportera les réponses.
C’est ainsi que l’on dit souvent, malgré les moments difficiles, qu’il n’y a pas réellement d’échecs mais des expériences qui nous font avancer sur notre chemin.
Ensuite, lorsque les disciples demandent au maître des informations, Maître K’ien leur répond simplement qu’à force d’explications leurs esprits et donc leurs expériences seront étriqués et réduits à chercher ce qu’aura dit le maître. Par là, le maître leur transmet que plus il leur donnera d’informations et moins l’expérience sera vivante et moins elle laissera d’espace à leur conscience de faire Un avec l’expérience.
Que doit-on entendre là-dessous ?
Le mental, l’égo et la recherche permanente d’explication empêchent notre conscience de s’épanouir et de faire elle-même l’expérience de l’instant présent.
Bien sûr, il y a des expériences dans lesquelles il faut se lancer avec quelques précautions ou indications en se faisant accompagner par des professionnels (ex : le jeûne, régime alimentaire, médecine alternative, nouveau sport…) car comme pour tout parfois, notre corps n’est pas prêt à recevoir certaines nouveautés.
Néanmoins, en ce qui concerne la voie spirituelle, il n’y a pas vraiment de contre-indications (exception faite de certains exercices respiratoires pouvant être trop puissants pour les initiés).
Ne cherchez pas à vouloir comprendre la méditation. On pense souvent à tort que la méditation, c’est de ne plus penser, mais en réalité méditer, c’est progressivement arriver à calmer le mental, l’égo (nos couches d’illusions) pour pouvoir laisser apparaître notre être profond.
Les clés de l’expérience
Une des clefs principales qui permet d’arriver à cette expérience est de se positionner comme observateur de nos pensées : si j’arrive à avoir conscience que je suis parti(e) dans mes pensées, c’est que je suis autre chose que mes pensées. Puis petit à petit écouter, observer les pensées, sans s’y attacher, observer les émotions dans notre corps, observer notre souffle, nos zones de tension ou bien nos zones libres. Pour commencer, méditer c’est déjà être dans son corps pour laisser ensuite l’âme s’évader dans la Conscience .
Il y a beaucoup de livres, podcast et je pourrais vous donner beaucoup d’explications sur la méditation, mais en réalité le plus important est comme ces moines : d’en faire l’expérience .